dimanche 18 novembre 2012

Moi, banquier américain, maître du monde..

3 informations importantes cette semaine sur la haute finance américaine :

1) La banque centrale américaine, par la voix d'Elizabeth Duke, a déclaré cette semaine qu'elle se refusait à imposer la mise en application stricte de la réglementation dite "Bâle III" dès début 2013...
2) la SEC conclut un accord amiable (petite amende de 400 millions de dollars pour 2 banques) après des plaintes déposées dans le cadre des tromperies sur les dérivés liés aux subprimes
3) Tim Geithner, secrétaire d'état au trésor (le "ministre des finances" américain) nous explique que le plus simple pour régler le problème de la dette américaine est de supprimer le plafond

Décryptage

Les banques américaines et Bâle III

Suite à la crise financière de 2007/2008 et la chute de Lehman Brothers, les différentes autorités de contrôle et le G20 ont lancé une vaste réflexion pour tenter de renforcer la solidité des banques afin d'éviter une nouvelle catastrophe. Entre autres, la réforme réglementaire "Bâle III", publiée le 26 décembre 2010, visait notamment à renforcer les ratios des banques, c'est à dire pour simplifier, le rapport entre leurs capitaux propres et leurs dettes..

En effet, on a constaté que la sévérité de la crise de 2007 / 2008, qui a démarré aux USA par les abus sur les prêts immobiliers à risques (subprimes), s'explique en grande partie par le fait que la taille des bilans des banques avait connu une croissance sans limite, pendant que la qualité de fonds propres (censés couvrir les risques) n'avait cessé de se dégrader. De plus, les banques ne disposaient pas des réserves suffisantes pour faire face à une crise de liquidité. Quand le château de cartes des "subprimes" s'est effondré, les banques se sont révélées incapables de faire face à leurs pertes et ont fait appel aux autorités publiques pour les renflouer. Ce cercle vicieux a fait explosé les déficits publics.. et ce sont maintenant ces mêmes "marchés financiers" qui prennent les états à la gorge et exigent des réformes pour la réduction de la dette publique..
N'oublions pas qu'au delà de Lehman Brothers, plusieurs centaines de banques américaines ont fait faillite en 2008, 2009 et 2010..

Sans rentrer dans les détails des différents ratios définis par "Bâle III" (les ratios NCR et NSFR), et même si théoriquement les banques ont jusqu'en 2018 pour appliquer strictement les nouvelles normes (il faut savoir que les américains n'ont jamais appliqué la norme précédente, dite "Bâle II"), les recommandations du comité de Bâle doivent être transposées en droit national d'ici au 1er janvier 2013.

Depuis l'adoption de cette réforme en décembre 2010, bien d'autres problèmes ont agité les différents marchés financiers, de la crise grecque à la quasi faillite des banques espagnoles, en passant par différents scandales autour de JP Morgan (perte de plusieurs milliards au printemps) ou encore autour de la manipulation du Libor.

Les politiques avaient donc tenté d'imposer l'application plus rapide que prévue des nouvelles normes réglementaires, et 2013 semblait accessible. On a ainsi en Europe, et particulièrement en France, vu la plupart des établissements bancaires dits "systémiques" (les fameuses banques "trop grosses pour faire faillite", à savoir Société Générale, Crédit Agricole et BNP Paribas) réduire considérablement la taille de leur bilan, essentiellement par la cession d'actifs.

En effet quand vous souhaitez améliorer un "effet de levier" entre des capitaux propres et des dettes, vous avez 2 solutions : soit vous augmentez vos capitaux propres, soit vous diminuez vos dettes. Comme il n'était pas envisageable pour ces banques de procéder à des augmentations de capital dans les conditions de marchés existantes (le cours de Société Générale est passé de 140 euros à moins de 15 euros au plus fort de la crise, le cours de Crédit Agricole est passé de plus de 30 euros à moins de 3 euros, etc..), ces banques ont donc vendu des participations détenues un peu partout dans le monde (en Grèce notamment pour crédit agricole), et sont devenues beaucoup plus regardantes avant d'accorder des prêts, afin de pouvoir afficher le plus vite possible des "ratios" conformes aux nouvelles règles. C'est là un des effets pervers de cette nouvelle norme : puisque l'effet de levier des banques doit être réduit, elles prêtent moins, ... mais ce n'est pas l'objet de cet article).

On se souvient de Christine Lagarde, à peine nommée au FMI à l'été 2011, qui lançait un pavé dans la mare en déclarant que les banques européennes étaient fortement sous-capitalisées (alors que 2 mois avant, encore ministre des finances du gouvernement français, elle disait le contraire), et on voit avec quel talent les autorités américaines remettent sur le devant de la scène la crise grecque et le problème des banques européennes, pendant que "leurs banques" ont de leur coté récupéré toute leur puissance et leur solidité, dégagent des dizaines de milliards de profits, etc..

Voilà donc un pays d'où est parti la crise en 2007, qui participe pleinement au G20 et qui, en façade, milite pour les accords de Bâle III, qui nous annonce cette semaine qu'il reporte sine die le calendrier d'application.

Pour justifier sa décision, la banque centrale américaine a fait état de l'inquiétude de nombreux établissements bancaires quant à une application stricte du nouveau cadre réglementaire dès début 2013, comme prévu initialement, alors qu'elles n'y seraient pas suffisamment préparées.

Tiens tiens, alors les banques américaines ne sont pas en si bonne santé que ça ?

Il est intéressant de surveiller ce que dira Michel Barnier, commissaire européen : il avait en effet déclaré que l'Europe n'appliquerait pas Bâle III tant que les Américains ne l'appliqueraient pas.. On va voir si comme d'habitude l'Europe se tait.. ou si elle ose hausser le ton face aux USA..

J'ai rarement été d'accord avec les dirigeants de nos banques, mais je dois dire que pour une fois je suis d'accord avec eux..
Monsieur Prot, patron de BNP Paribas, a participé récemment à une table ronde organisée par l'Autorité des Marché Financiers :
Faisant allusion à la loi américaine dite Fatca, qui impose aux établissements financiers du monde entier de communiquer des informations concernant leurs clients américains, M. Prot a estimé que "ce n'était plus la peine d'aller à Bâle, puisque le Congrès (américain) dirige les affaires mondiales."

"Les Américains se sont rendus compte que c'était un petit peu compliqué et risqué et ils ont décidé de prendre leur temps", a observé le président de l'AMF, Gérard Rameix.

"Si c'est les Etats-Unis, ce n'est pas grave, c'est la moitié de l'industrie mondiale", a ironisé M. Prot.

"Bâle III semble ne pas devoir être appliqué dans la zone d'où est partie la crise", a renchéri le PDG de Société Générale, Frédéric Oudéa, lors d'une autre table ronde.

La banque centrale américaine continue donc de se moquer du monde. Elle a provoqué la bulle immobilière américaine en ne contrôlant pas la quantité et la qualité des crédits en circulation (en ayant fortement baissé les taux d'intérêts suite à l'effondrement de la bulle Internet en 2001/2002), elle a ensuite provoqué en partie l'éclatement de la bulle en remontant fortement les taux en 2006 / 2007, elle a ensuite englouti des milliers de milliards pour sauver le système au moment de la faillite de Lehman Brothers en 2008, cette crise ayant provoqué une récession mondiale, des dizaines de millions d'emplois détruits dans le monde, et cette même banque centrale nous déclare donc aujourd'hui : "euh en fait les règles sont très bien pour les autres, mais pas pour nous"..

Les "accords amiables" de la SEC

Ajoutons que l'autorité de surveillance des marchés aux USA (la SEC) se félicite d'un accord trouvé avec JP Morgan et Crédit Suisse au sujet de plaintes déposées contre ces établissements pour tromperies sur les subprimes (vous savez bien, quand toutes les banques ont vendu des produits merveilleux, sans risque et très rentables à des investisseurs, et qu'on s'est aperçu ensuite que ces produits étaient pourris, et qu'ils ont occasionné des centaines de milliards de pertes) : une amende globale de 400 millions de dollars pour ces 2 établissements, et l'affaire est classée.
Là aussi ça devient une habitude, ces établissements ont provoqué une crise qui a vu des milliers de milliards partir en fumée, mais une petite amende de quelques centaines de millions et on met fin aux poursuites..
C'est beau la justice, on fait un petit chèque de type don aux oeuvres et on est lavé de toute responsabilité..

Le plafond de la dette américaine

Timothy Geithner, le secrétaire américain au Trésor, a plaidé vendredi pour la suppression du plafond de la dette publique imposée par le Congrés. Déjà la cause d’un mélodrame en 2011, le plafond de la dette devrait à nouveau être atteint en décembre. 
Vous avez entendu parler du fameux "fiscal cliff" (falaise fiscale) ?
Suite aux négociations difficiles il y a un an entre républicains et démocrates (les 1er ayant la majorité à la chambre des représentants, les seconds au sénat) pour relever le plafond de la dette américaine à 16 394 milliards de dollars, ces messieurs se sont donnés un an pour arriver à négocier un plan qui permettrait à terme de réduire les déficits publics et la dette. Sans accord d'ici fin décembre 2012, des mesures automatiques entreront en vigueur en janvier 2013 : hausse d'impôts, coupes sévères dans les dépenses publiques, etc.. Ces mesures sont redoutées car elles provoqueraient une forte récession aux USA (elles sont bonnes à appliquer en Grèce, en Espagne ou au Portugal par contre...)
Alors au lieu de ne pas réussir à s'entendre sur le comment, Tim Geithner a cette idée toute simple : supprimer le plafond (regardez cette vidéo, passage à 7'09 : 

Rien n'a donc changé depuis des mois et des mois, on vous bourre le crâne sur la crise européenne, mais tout va bien aux USA...

1 commentaire:

  1. Selon une information parue aujourd'hui, La Réserve fédérale américaine (Fed) a dévoilé vendredi un projet de directive durcissant les règles de gestion prudente s'appliquant aux plus grandes banques étrangères présentes aux Etats-Unis.

    Donc moins d'un mois après avoir annoncé que la FED renonçait à exiger des banques américaines l'application de Bâle 3, voilà que cette même FED va exiger des banques étrangères des "règles de gestion prudente"..

    On aura tout vu.. et bien évidemment aucun larbin de dirigeant européen ne va réagir..
    On n'exigera pas de Goldman Sachs, Bank Of America et d'autres, "Spécialistes en Valeur du Trésor" ayant leur entrée privilégiée à l'Agence France Trésor, d'avoir les mêmes "règles de gestion prudente"..

    Un petit rappel sur les faillites de banques américaines :
    depuis le début de l'année 2012, 27 banques US ont fermé leurs portes, contre un total de 92 en 2011, 157 en 2010, 140 en 2009, 25 en 2008 et 3 en 2007.

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